Opéras Benjamin Bernheim, Hoffmann idéal à Paris
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Benjamin Bernheim, Hoffmann idéal à Paris

05/01/2024
Rachel Willis-Sorensen (Antonia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann). © Opéra national de Paris/Émilie Brouchon

Opéra Bastille, 6 & 21 décembre

Il y a vingt-trois ans déjà, Hugues Gall confiait à Robert Carsen une nouvelle production des Contes d’Hoffmann. Quelque quatre-vingts représentations plus tard, on constate que, toujours d’une fraîcheur et d’une tenue absolues, elle est devenue, comme naguère le Faust réalisé par le regretté Jorge Lavelli, un spectacle-signature de l’Opéra National de Paris.

Si chefs et chanteurs divers s’y sont succédé, avec plus ou moins de bonheur (voir, en dernier lieu, O. M. n° 159 p. 59 de mars 2020), il n’en demeure pas moins que la réussite est toujours là, sans impression de routine. À la suite d’une grève, ayant réduit la première du 30 novembre au statut de version de concert, la soirée du 6 décembre s’est, en effet, avérée un pur enchantement.

Non que tout y soit parfait, mais parce qu’à retrouver enfin la scène, l’équipe s’est enflammée, sous la baguette heureuse d’Eun Sun Kim, directrice musicale du San Francisco Opera, qui débutait à Paris. Battue théâtrale, avant tout, légère, équilibrée, très attentive au plateau, qu’elle soutient admirablement, la cheffe coréenne sait, également, mettre en valeur le détail instrumental de la fosse, tout autant que la plénitude architecturale de l’écriture du « petit Mozart des Champs-Élysées ».

La merveille vient, d’abord, de l’entente avec Benjamin Bernheim, qui reprend un rôle abordé à Hambourg, en 2021, et s’avère, désormais, l’Hoffmann le plus délicat qu’on ait jamais entendu. Question de langue, évidente, d’articulation, raffinée, de ton, où la légèreté et la nuance priment sur tout, de style, absolu. Si la voix n’a pas l’éclat jusqu’au-boutiste d’un Placido Domingo à sa grande époque, elle échappe à la tradition du ténor à effets, pour un pur bonheur de fraîcheur, d’élégance et de poésie. Qui plus est, on ne peut parler ici d’appropriation théâtrale, tant le naturel de l’artiste est idéal pour le rôle.

Face à ce diamant, quelques brillants ne font pas défaut. Si Pretty Yende emporte la mise auprès d’un public enthousiaste, en se prêtant un peu mécaniquement aux pitreries d’Olympia, la voix n’impose ni une articulation, ni une vocalise d’exception. Rachel Willis-Sorensen, qui débutait à l’Opéra National de Paris, est, en revanche, d’un autre métal : splendeur du timbre, ambitus et égalité de registres somptueux, c’est presque trop pour Antonia !

Pas moins présente, la fort lascive Giulietta d’Antoinette Dennefeld pâtit, d’abord, d’un retrait voulu dans la « Barcarolle » – pour ne pas effacer l’inexistence des éclats, parfois superbes, souvent trop pâles et sans projection, du Nicklausse d’Angela Brower. Antoinette Dennefeld se rattrape, heureusement, dans le reste de l’acte, en particulier dans le « Septuor », porté par la cheffe avec une dynamique rare.

Christian Van Horn caractérise fort bien ses quatre « méchants » : présence parfaite, d’un timbre noir, à l’orgueil assuré. Mais s’il articule parfaitement, le baryton-basse américain reste un rien étranger au français, qu’il ne vit pas de l’intérieur.

Les seconds rôles sont excellents : Leonardo Cortellazzi a le sens du bouffe idéal pour Frantz, et Christophe Mortagne offre un irrésistible Spalanzani. Vincent Le Texier a, désormais, mille nuances de gris pour camper, de façon personnelle, Crespel. Quant à Sylvie Brunet-Grupposo, elle impressionne toujours en Mère d’Antonia. Enfin, les chœurs sont au niveau de la prestation orchestrale, superbes.

La représentation du 21 décembre n’a pas produit la même impression, le seul fait que Dmitry Korchak ait succédé – pour les trois dernières – à Benjamin Bernheim, changeant la donne. Le ténor russe est de haut niveau, avec une maîtrise du français excellente, sinon naturelle ; mais la projection des aigus est démonstrative, et le personnage montre, plus classiquement, la lourdeur des héros avinés. Là où son prédécesseur enchantait la soirée, on n’a plus qu’une fort bonne reprise, sans la magie qui régnait, quinze jours plus tôt.

PIERRE FLINOIS

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